Auteur : Marsupilami le 15/11/2016 18:58:58
n°131558R0 - Le sifflet |
Bien que cette journée soit fraiche et légèrement venteuse, j'avais décidé de retourner sur les lieux de mon enfance. Allez savoir pourquoi, la nostalgie des collines qui m'avaient vu grandir était encore plus forte que d'habitude. J'avais pris mon détecteur en me disant que je pourrais peut être m'en servir une fois sur place. Je souriais en le rangeant dans le coffre de la voiture car malgré toute ma mauvaise foi je ne pouvais pas me cacher que j'espérais secrètement retrouver un objet de mes jeunes années. Je sais bien que les chances de découverte sont minimes voire nulles mais l'enfant que j'étais il y a si longtemps m'accompagnait et il croyait si fort à cette possibilité que je ne pouvais que lui obéir.
Je me suis garé dans un chemin creux en arrivant et, à peine sorti de la voiture, j'ai regardé le paysage qui s'offrait à moi. Peu de choses avaient vraiment changé dans ce coin de campagne un peu à l'écart des grandes routes et des villes tentaculaires. Les gens continuaient à vivre sereinement au rythme de la nature et des labours et j'apercevais entre deux rangées d'arbres le toit d'une ferme séculaire que je connaissais bien.
Ce coin familier m'a incité à prendre mon détecteur car, après tout, j'étais un peu chez moi et je ne faisais que marcher sur les sentiers que j'avais arpentés il y a plus d'un demi siècle auparavant. Rien d'intéressant ne vint se prendre dans mes filets magnétiques et au bout d'une heure je songeais sérieusement à ranger mon matériel pour aller marcher un peu le nez au vent en cherchant à retrouver les sensations d'antan. C'est à cet instant qu'un son bien clair retentit au bord d'un champ. Un coup de piochon et je vis apparaître un objet que j'identifiais immédiatement avec un coup au cœur. C'était un sifflet mais celui ci, bien que semblable à des milliers d'autres , je le reconnu tout de suite. En levant la tête, je voyais toujours le toit de la ferme au bout du champ. Cette ferme que je fréquentais quotidiennement pour aller chercher du lait. J'étais toujours accueilli par Christine, la fille de la maison qui du haut de ses sept ans me considérait, moi qui n'avais que cinq ans comme son petit frère sur qui elle s'était donné mission de veiller sur moi et me protéger et qui m'entrainait invariablement dans des courses sans fin dans les champs alentour. Je me souviens de ses nattes qui encadraient un visage un peu pointu parsemé de taches de rousseur et de ses yeux bleus pétillants de malice.
Le temps s'était inversé et j'étais à nouveau ce petit garçon qui courrait derrière son amie dans les hautes herbes en faisant jaillir des bouquets de sauterelles et de papillons. Nous finissions par nous abattre cachés dans un champ de blé et elle me racontait des histoires d'hommes qui hantaient la campagne et qui enlevaient les petits garçons comme moi. Je suis bien incapable de dire si je croyais vraiment à ces histoires mais elles me faisaient délicieusement frissonner et ma protectrice finit par mettre au point une méthode imparable pour déjouer les plans de ces kidnappeurs hypothétiques. Elle avait acheté deux sifflets à la foire du village où elle avait accompagné son père. Elle m'en donna un en me recommandant bien de ne pas le perdre et de m'en servir jusqu'à m'époumoner en cas de rapt. Elle me dit que le sien nous servirait pour s'appeler secrètement et c'est ainsi que tous les soirs, je guettais le signal du sifflet pour aller la retrouver dans quelque cachette convenue à l'avance et qui dérouterait tout éventuel Thénardier.
Le temps a passé, emmenant avec lui mon précieux sifflet et la petite fille aux nattes. C'est pendant mon service militaire, au hasard d'une permission, que le destin nous remis face à face. Ses nattes avaient disparues mais les étincelles de malice étaient toujours aussi nombreuses dans le bleu de ses yeux et son sourire n'avait pas changé. Elle m'apprit en moins d'une minute qu'elle travaillait maintenant en ville pour une société d'assurance, qu'elle était sur le point de se marier, que son fiancé se nommait Pierre, qu'ils voulaient acheter un appartement orienté au sud et qu'il faudrait que je retourne impérativement la voir car elle trouvait qu'elle devrait de nouveau s'occuper un peu de moi tout en redressant ma cravate d'uniforme car elle me trouvait trop maigre et elle prenait son rôle d'ainée très au sérieux. Puis, telle une boule d'énergie, elle a disparue sur un dernier signe de la main, me laissant estomaqué sur ce trottoir.
De nouveau les années ont défilées et je ne pensais plus à Christine car comme vous sans doute, la vie ne me laissait guère de temps pour me pencher sur mon passé aussi ai je été très surpris de la revoir encore une fois par le plus pur des hasards chez des amis communs qui ignoraient bien entendu notre vieille amitié. Elle était plus posée et les années l'avaient assagie légèrement ce qui ne l'empêchât pas tout en me présentant ses enfants et son mari d'épousseter mon costume en me faisant remarquer que mes chaussures étaient sales et que je ne me tenais pas droit !! J'étais de nouveau ce petit garçon et je ne pouvais qu'essayer maladroitement de cacher mes chaussures et me redresser du mieux que je pus.
Nos amis communs nous donnèrent l'occasion de nous retrouver une nouvelle fois quelques années plus tard et je me souviens m'être rendu en souriant à ce diner après un examen minutieux de ma tenue et de mon maintien. Quand le la vis, mon sourire s'effaça instantanément. Où était passé la petite fille et la femme qu'elle était devenue qui respirait l'énergie et la joie vivre. Je n'avais devant moi qu'une pale esquisse qui avait vieillie d'un coup. Elle s'était affaissée, ses cheveux pendaient ternes et sans vie et il n'y avait plus la moindre étincelle dans ses yeux. Après nous être isolé dans une pièce tranquille elle me raconta ce quelle cherchait désespérément à cacher aux autres. Son mari s'était tué dans un accident de voiture un an auparavant alors qu'ils se préparaient à partir rejoindre leurs enfants maintenant installés aux Etats Unis. Est ce le choc de cette disparition ou bien le fait d'être si loin de ses enfants qui avait déclenché ce cancer qui maintenant la rongeait sans espoir. Pour la première fois de ma vie, je suis devenu son protecteur et je l'ai serré fort dans mes bras pendant qu'elle pleurait.
Quelques mois plus tard, je regardais une pierre froide gravée à son nom dans un cimetière anonyme. J'avais failli à ma mission et je n'avais pas su la protéger comme elle l'avait toujours fait pour moi.
Et voici qu'aujourd'hui, je me tiens debout dans ce champ avec, au creux de ma main le sifflet de Christine qui est devenu muet à tout jamais. Pourtant, en tendant l'oreille, j'entends son signal porté par mon ami le vent;
Demain, j'irai sur sa tombe et je lui rendrai son sifflet. Je sais qu'elle en sera heureuse et qu'elle pourra accompagner le sifflet de mon ami le vent dans l'éternité.
Houba
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Auteur : max01 le 15/11/2016 19:08:05
n°131558R1 - Que dire ! La vie fait mal des fois!. |
[20] Très belle portion de vie!.
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Auteur : Gégé le lorrain le 15/11/2016 19:34:43
n°131558R2 - Très beau moment de lecture ! |
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Auteur : fanfois1 le 15/11/2016 19:46:16
n°131558R3 - ........ |
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Auteur : Lou Gobi le 15/11/2016 19:52:02
n°131558R4 - sifflet |
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Auteur : migrateur le 15/11/2016 19:57:56
n°131558R5 - ... |
[1666] 
Comme d'habitude, plein de paysages, d'odeurs, etc... La vie est belle et c'est tant mieux...
Merci Marsu 
@+
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Auteur : Salamix le 15/11/2016 21:00:48
n°131558R6 - -- |
 
C'est écrit avec beaucoup de talent, et pour finir paix à son âme...
Au plaisir de te lire.
@+
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Auteur : galopin78 le 16/11/2016 09:34:46
n°131558R7 - mémoire |
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Auteur : Sparow le 16/11/2016 10:40:34
n°131558R8 - Life |
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Auteur : Creuzorak le 16/11/2016 21:26:34
n°131558R9 - .. |
 
On dirait du Pagnol...On à l'impression que c'est du vécu. Cela pourrait l'être. Enfin peu importe, c'est sympa à lire.
A++
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