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  Silex du Pressigny (un peu de lecture) Silex du Pressigny (un peu de lecture)  

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Auteur : Manu02 le 18/01/2013 12:24:37
109893R0 - Silex du Pressigny (un peu de lecture)
[889] J'ai 'pondu' un petit article sur les lames en silex du Grand Pressigny (voir mon blog) dont je vous livre la primeur (pour ceux qui aiment le beau silex miel et cireux) :


Lorsque l’on évoque le 'silex du Grand-Pressigny', on pense d’abord au silex cireux et homogène et ensuite, à la une production assez particulière de poignards à partir de nucléus en 'livre de beurre'.

La région du Grand-Pressigny (Indre-et-Loire) fait un peu moins de 1000 km². Elle se situe au Sud-ouest du Bassin Parisien, à la limite avec le seuil du Poitou et elle est traversée par la Vienne et la Creuse.

D’un point de vue géologique, c’est une région de calcaire Turonien, un calcaire du Crétacé supérieur daté autour de 90 millions d’années. Le Turonien supérieur a la particularité de renfermer des types de silex cireux aux qualités exceptionnelles, issus de craies sableuses. Ce silex se présente en dalles et rognons répartis en bancs de moins d’un mètre d’épaisseur et on le trouve sur une étroite bande située entre 80 et 100 mètres d’altitude de part et d’autre des vallées locales de la Creuse et de la Claise.

Ce silex du Grand-Pressigny est connu dès 1864 par des chercheurs locaux et grâce aux nombreux poignards retrouvés partout en France. Il fait même l’objet de discussions lors du Congrès Préhistorique de France de 1910. A partir de 1950, les études pétrographiques vont permettre de caractériser ce silex et de la comparer avec d’autres ateliers aux caractéristiques assez proches (comme Mouthier-sur-Bohème en Charente par exemple).

Mais décrire ce silex n’est pas si facile car il varie beaucoup selon :
- les couleurs (brun, gris, noir, versicolore …)
- la trame (silex uni ou zoné, silex lié ou veiné, silex tacheté ou moucheté…)
- le grain (fin, moyen ou grossier)
- la patine
- l’apparence mate ou brillante
- le cortex (épaisseur, couleur, altération…)
- …

Sa caractéristique principale reste sa qualité grâce à laquelle il a été exploité dès le Paléolithique. Mais c’est au Néolithique Final, entre -2850 et -2400 ans, que vont apparaître des dizaines d’ateliers spécialisés dans les très grandes lames (la plus grande actuellement connue mesure 38,2 cm.). Ces lames sont débitées sur des nucléus auxquels la tradition locale a donné le nom de « livre de beurre » à cause de leur forme particulière aux bords crénelés qui
rappelle celle des mottes de beurre fabriquées dans la région au début du 20° siècle.

Pendant des décennies, les lames et les nucléus sont recherchés sans vraiment faire l’objet d’étude scientifique jusqu’à la découverte en Novembre 1970, d’un dépôt de 134 lames brut au lieu-dit « La Creusette » à Barrou. La fouille de ce site d’habitat et de taille et l’analyse de ce dépôt nous apprend les méthodes de taille et confirme la nécessité d’un vrai savoir faire pour des tailleurs expérimentés.

Sur une livre de beurre, on extrait donc une moyenne de 12 lames (étude de Jacques Pélegrin) qui sont à multiplier par les milliers de nucléus retrouvés dans la région, on comprend bien que la production de ces lames dépassait largement le besoin des agriculteurs locaux.

Depuis plus de 30 ans, on a ainsi recensé plus de 6000 lames sur un territoire que recouvrent aujourd’hui la France, la Belgique, la Hollande, l’Allemagne et la Suisse. Ces exportations hors de la zone de production se font en 3 phases dont 2 précèdent la fameuse technique des livre de beurre.

- A partir de -3500 ans, on trouve des lames de taille moyenne, débitées sur des nucléus coniques, que l’on retrouve dans les sépultures mégalithiques en Bretagne ou dans un village des rives du lac Chalain dans le Jura daté de -3040 ans.

- Vers -3000 ans, les tailleurs adoptent une méthode de débitage plus compliquée avec une préparation de leur nucléus en forme de parallélépipède, avec crêtes latérales et plans de frappe opposés. Grâce à cette nouvelle technique, on obtient des lames plus grandes et plus larges. Deux de ces poignards retrouvés sur les rives du Lac de Clairvaux sont datés de -2985 ans.

- Mais la grande période des lames du Pressigny se situe en -2850 et -2400 ans (evec un pic vers -2600 ans). C’est celle des nucléus « livre de beurre » qui exigent une préparation longue et minutieuse et surtout une très grande maîtrise technique pour obtenir des lames de 25 à 38 cm.

Avec la technique des « livres de beurre », les exportations se font à 90% sur des poignards ou des outils de réutilisation de poignards brisés : grattoirs, racloirs, scies à encoches. On retrouve ses outils variés sur de nombreux sites d’habitats alors que les très grandes lames de poignard se retrouvent plutôt dans les sépultures, ce qui indique leur valorisation comme pièce de prestige ou d’affichage pour leurs détenteurs.


Au départ de la zone de production, ce sont surtout des lames brutes et régularisées qui sont exportées comme en témoignent le dépôt de 17 longues lames soigneusement retouchées découvertes en 1890 à Moigny-sur-Ecole (Essonne). Mais on trouve aussi des lames à retouches en écharpe dans la zone du Pressigny, témoignant d’une fabrication locale.

Les modes d’exportation sont variés. Dans un rayon de 100 km, on peut penser à un approvisionnement par les utilisateurs eux-mêmes. Au-delà, on imagine un acheminement en plusieurs étapes par des colporteurs spécialisés qui utilisent des courants de diffusion spécifiques (cabotage ?) d’autant que ces exportations lointaines se font sur des outils très homogènes et qui correspondent vient aux attentes des populations locales « clientes ». On observe aussi que ces artisans ne sont pas sédentaires et vont jusqu’à créer des « ateliers satellites » en Dordogne, en Charente mais aussi à Vassieux-en-Vercors ou sur les gites de silex tertiaire en Champagne.


Reste à savoir combien de lames ont été produites en 400 ans. Jacques Pélegrin propose un mode de calcul original pour envisager un chiffre.
- On débite en moyenne 10 lames sur chaque nucléus.
- Un tailleur expérimenté peut traiter 2 nucléus par jour (archéologie expérimentale).
- Il faut 3 tailleurs chaque année pour ne pas perdre le savoir faire technique nécessaire.
- La taille est une activité estivale car l’humidité gène ce travail.
- Chaque tailleur débite autour de 65 nucléus par saison. Explication : L’analyse des 134 lames du dépôt de « La Creusette » montre qu’il représente 15% à 20% d’un ensemble initial de 500 à 800 lames représentant 50 à 80 nucléus. On retrouve les mêmes volumes dans le dépôt de « la Guerche » qui est issu de 100 à 150 nucléus mais avec 2 tailleurs bien distincts.

On obtient donc un minimum 800 000 lames sur 400 ans avec 2000 lames produites chaque année (3 tailleurs x 65 nucléus x 10 lames). Mais en imaginant une douzaine de tailleurs spécialisés, on passe à 320 000 nucléus et 3,2 millions de lames !

Il est donc évident qu’à coté des artisans tailleurs de lames brutes, on pouvait avoir une véritable économie du silex avec des mineurs locaux spécialisés dans l’extraction des blocs de silex, des tailleurs pour retoucher certaines lames, des colporteurs pour exporter ces lames…

Il est tout aussi évident qu’avec des centaines de milliers de lames, la valeur symbolique de ces lames devaient dépendre d’autre chose que leur couleur miel. Jacques Pélegrin (encore lui !) montre que si on débite deux lames de 15 cm. au lieu d’une lame de 30 cm., on obtient 6 fois plus de tranchants en maximisant le débitage du nucléus,. Ce n’est donc pas la rentabilité du silex qui est recherché mais la valorisation des grandes lames.

C’est d’autant plus vrai que la livre de beurre fournit des lames avec un minimum de 22 cm. de longueur alors que les lames du quotidien faites en silex local ne faut au mieux qu’une quinzaine de centimètre. Il y a donc bien une attente « sociale » pour ces grandes lames et une répartition qui peut se faire par une élite qui va se garder les plus longues et échanger des lames plus modestes avec des vassaux ou des villages voisins.

Mais alors pourquoi certaines grandes lames montrent elles des traces d’usure ?
Il faut prendre en compte la dynamique de l’objet. La grande lame peut être conservée pour sa valeur sociale dans un premier temps mais année après année, les lames deviennent plus fréquentes dans certaines régions et peuvent être remplacées. La valeur d’échange passe alors du symbolique à l’utilitaire. On est donc sur un phénomène différent des haches alpines du 5° millénaire qui ne seront produites qu’à quelques centaines d’exemplaires par an.

La lame de silex comme valeur d’échange économique est alors évoquée pour s’échanger par exemple, contre les pains de sel des marais de Vendée ou des sources salées du Jura. Cette valeur ne sera jamais concurrencée par les copies des productions locales du Vercors ou de Champagne et aura sans doute assurée un certain prestige aux élites locales.


Merci de votre intérêt pour la question.
Manu
 
Auteur : Michel le 18/01/2013 13:42:43
109893R1 - Waaaw !!!!
Salut Manu et merci pour ton article !! Tu dois avoir les doigts qui fument après autant de littérature. Je vais le lire à mona aise après le repas.....


A+ et merci

Michel
 
Auteur : Michel le 18/01/2013 14:20:26
109893R2 - FĂ©licitations ....
Très intéressant article, complet.... il manque peut être quelques exemples.... mais bon,çà n'est qu'un demi mal.
Je vais garder cet article !!!

Encore Manu

Michel
 
Auteur : Manu02 le 18/01/2013 14:28:35
109893R3 - Thèmes
[889] Merci Michel,

J'essaie de vulgariser 'le Néo pour les nuls' par thèmes.
Tu trouveras aussi sur mon blog des sujets comme :
- La typologie des haches polies en silex
- Les haches alpines
- Le racloir Ă  encoches
- La roue au néo
- L'importance du sel au néo
- Les mines et minières
- Arcs et archers
- Plussulien et la naissance des monopoles
- La mode des bracelets en schiste au VSG
- Otzi
- Le mythe du cachalot en Bretagne mégalithique
...

Bonne lecture à tous (et pour ceux qui ne me connaissent pas encore, vous tapez néolithique en vallée de l'aisne sur un moteur de recherche.

Manu


 
Auteur : Michel le 18/01/2013 16:58:10
109893R4 - Manu....
Je suis rouge de honte.... je n'avais pas encore prêté attention à ton magnifique site, que je viens donc de découvrir. En un mot, il est génial :
Je l'ai directement ajouté à mes favoris. Je dois encore l'éplucher. J'ai déjà évidemment regardé le petit film sur les découvertes anthropologiques (rien à faire, c'est ma spécialisation depuis 50 ans !).
En tout les cas, grand MERCI pour le lien (enfin..... le titre du site, plutĂ´t)



Michel
 
Auteur : biface22/50 le 18/01/2013 23:38:46
109893R5 - re
Bonsoir Ă  tous

C'est vrai qu'il est beau et instructif ton site Manu.

Bravo pour ton effort de vulgarisation.
Si tout le monde pouvait avoir cette même démarche.
Au plaisir de te lire.

A tantĂ´t

biface22/50
 
Auteur : pouldu56 le 22/01/2013 13:12:38
109893R6 - documentation
[458] Bonjour Ă  tous,
Le silex du GP et de sa région c'est ausi la production de...pierres à fusils que l'on prospecte dans les labours à côté des éclats de silex pressignien présents en faible quantité il faut l'avouer en Bretagne sud notamment où l'on rencontre majoritairement les silex de rognons et de modestes galets côtiers ramenés par les courants (et peut être des importations en provenance littorale)
Concernant le fait que tu relève ( avant dernier paragraphe) avec un peu d'étonnement de l'utilisation 'détournée' des lames pressignienne en simple outil (quel sacrilège) saches que cette pratique a aussi été vérifiée pour ce qui concerne les étonnantes pointes armoricaines dont il a été prouvé récemment que certaines ont fait la moisson! ('Roches et Sociètés de la préhistoire- G Marchand, G Querré-PU Rennes 2012),
Merci pour le condensé instructif au sujet les lames du GP,,
Pouldu 56 ,
 
Auteur : JCT le 22/01/2013 19:38:44
109893R7 - thèse
[323] Bonjour,
Pour ceux que ça intéresse, la thèse de Jérôme PRIMAULT : 'Exploitation et diffusion des silex de la région du Grand-Pressigny au Paléolithique', soutenue en 2003, était accessible à une époque sur internet. Peut-être l'est elle encore. C'est une étude très complète comportant en particulier une description de tous les types de sylex du secteur. Ils ne sont pas tous du beau blond si connu. Ils peuvent être en jaspe, versicolores, à coeur noir, etc...
Cordialement,
JCT


 
Auteur : JCT le 23/01/2013 13:47:55
109893R8 - calco
[323] Manu,
Merci aussi de cette belle analyse et description concernant les lames du Grand Pressigny. C'est un très bon texte.
Certains on prétendu que, dans cette période où le calcolithique (âge du cuivre) avait débuté au moyen orient, la fabrication de grands poignards en silex voulait imiter les premières fabrications de poignards en cuivre. La couleur en était proche et, même si c'était cassant, le silex devait mieux couper. Comme aujourd'hui les tablettes, tout le monde voulait sans doute son poignard.
Est-ce une manifestation de la première concurence industrielle ??
Cordialement,
JCT


 
Auteur : biface22/50 le 23/01/2013 16:02:19
109893R9 - re
Bonjour Ă  tous

Voici un lien ou l'on peut la trouver:

http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/13/25/40/PDF/These_PRIMAULT_2003.pdf

A tantĂ´t

biface22/50

 
Auteur : Manu02 le 23/01/2013 16:04:08
109893R10 - JCT
[889] Merci JCT pour tes commentaires constructifs.

Tu as raison sur la thèse de J Primault, c'est ce que j'ai lu de mieux sur les caractéristiques et la typologie du silex du Pressigny.

Sur la liaison Silex / Cuivre, je suis prudentt pour les lames. Mais pour les haches, Pierre Pétrequin montre bien qu'il existe au 4° millénaire, une Europe de la hache en roche Alpine (à l'Ouest) et une Europe de la hache en cuivre (à l'Est).

Cela dit, la concurrence est de tout temps pour des biens valorisés. Les silex du Pressigny ont une concurrence locale à Vassieux, en Charente et en Champagne. Dans le cas des lames du Pressigny, ce qui est interessant, c'est qu'on passe d'un bien rare (et valorisé socialement) à un bien courant (et valorisé économiquement) au fur et à mesure de la diffusion des milliers de lames. Pour reprendre l'exemple de la tablette numérique, c'est la même chose si tu regardes l'évolution des prix en fonction de la disponibilité et de la concurrence.

Le point qui m’intéresse derrière tout ça, c'est l'évolution des modes (et des échanges de biens) : Bracelet en schiste au VSG, Hache Alpines, Silex du Pressigny ou de Forcalquier, perles en or ou en ambre, poignard en cuivre, Obsidienne de Lipari, variscite de Catalogne, dolérite de Plussulien, sels des sources du Jura ou du bassin morbihannais...

La plupart de ces productions restent quantitativement rares, certaines comme la dolérite ou le silex du Pressigny deviennent de véritables réseaux économiques.

 
Auteur : biface22/50 le 23/01/2013 16:39:16
109893R11 - re
Merci d'ignorer les miens certes humbles Manu02



Biface22/50


 
Auteur : Manu02 le 23/01/2013 17:13:25
109893R12 - Biface
[889] Salut Biface 22/50,
ça doit être à cause du Pseudo : Les bifaces ne m'ont jamais 'parlé'...




Nan, je blague, merci pour tes commentaires !
Manu
 
Auteur : biface22/50 le 23/01/2013 20:20:01
109893R13 - re
Certes je suis plus versé paléolithique et en particulier le MTA.

Mais franchement j'admire ton travail sur le néolithique.

Merci et bravo encore.

A tantĂ´t

biface22/50
 
Auteur : Manu02 le 23/01/2013 21:28:25
109893R14 - MTA
[889] Rien de plus facile que de créer un blog sur le MTA, a ton tour Biface !

Et puis c'est vrai qu'il y a de belles choses au MTA...

Manu


 
Auteur : biface22/50 le 24/01/2013 12:42:33
109893R15 - re
Bonjour Manu

Bonne idée, j'y pensais Manu. Peut être quand je vais avoir un peu plus de temps.

Superbe triangulaire que tu nous avais déjà présenté.

A tantĂ´t

biface22/50


 
Auteur : Manu02 le 12/12/2014 10:42:19
109893R16 - Mise Ă  jour
[889] Bonjour Ă  tous,

Je reviens sur ce sujet qui me travaille depuis quelques temps.
D'où une petite mise à jour du texte et des précisions sur l'inventaire en cours.



Lorsque l’on évoque le 'silex du Grand-Pressigny', on pense d’abord au silex cireux et homogène et ensuite, à la une production assez particulière de poignards à partir de nucléus en 'livre de beurre'.


Contexte et historique.

La région du Grand-Pressigny (Indre-et-Loire) fait un peu moins de 1000 km². Elle se situe au Sud-ouest du Bassin Parisien, à la limite avec le seuil du Poitou et elle est traversée par la Vienne et la Creuse.

D’un point de vue géologique, c’est une région de calcaire Turonien, un calcaire du Crétacé supérieur daté autour de 90 millions d’années. Le Turonien supérieur a la particularité de renfermer des types de silex cireux aux qualités exceptionnelles, issus de craies sableuses. Ce silex se présente en dalles et rognons répartis en bancs de moins d’un mètre d’épaisseur et on le trouve sur une étroite bande située entre 80 et 100 mètres d’altitude de part et d’autre des vallées locales de la Creuse et de la Claise.

Ce silex du Grand-Pressigny est connu dès 1864 par des chercheurs locaux et grâce aux nombreux poignards retrouvés partout en France. Il fait même l’objet de discussions lors du Congrès Préhistorique de France de 1910. A partir de 1950, les études pétrographiques vont permettre de caractériser ce silex et de la comparer avec d’autres ateliers aux caractéristiques assez proches (comme Mouthier-sur-Bohème en Charente par exemple).

Mais décrire ce silex n’est pas si facile car il varie beaucoup selon :
- les couleurs (brun, gris, noir, versicolore …)
- la trame (silex uni ou zoné, silex lié ou veiné, silex tacheté ou moucheté…)
- le grain (fin, moyen ou grossier)
- la patine
- l’apparence mate ou brillante
- le cortex (épaisseur, couleur, altération…)
- …

Sa caractéristique principale reste sa qualité grâce à laquelle il a été exploité dès le Paléolithique. Mais c’est au Néolithique Final, entre -2850 et -2400 ans, que vont apparaître des dizaines d’ateliers spécialisés dans les très grandes lames (la plus grande actuellement connue mesure 38,2 cm.). Ces lames sont débitées sur des nucléus auxquels la tradition locale a donné le nom de « livre de beurre » à cause de leur forme particulière aux bords crénelés qui rappelle celle des mottes de beurre fabriquées dans la région au début du 20° siècle.

Pendant des décennies, les lames et les nucléus sont recherchés sans vraiment faire l’objet d’étude scientifique jusqu’à la découverte en Novembre 1970, d’un dépôt de 134 lames brut au lieu-dit « La Creusette » à Barrou. La fouille de ce site d’habitat et de taille et l’analyse de ce dépôt nous apprend les méthodes de taille et confirme la nécessité d’un vrai savoir faire pour des tailleurs expérimentés.



Chronologie des productions.

Depuis plus de 30 ans, on a ainsi recensé plus de 6000 lames sur un territoire que recouvrent aujourd’hui la France, la Belgique, la Hollande, l’Allemagne et la Suisse. Ces exportations hors de la zone de production se font en 3 phases dont 2 précèdent la fameuse technique des livre de beurre.

- A partir de -3500 ans, on trouve des lames de taille moyenne, débitées sur des nucléus coniques, que l’on retrouve dans les sépultures mégalithiques en Bretagne ou dans un village des rives du lac Chalain dans le Jura daté de -3040 ans.

- Vers -3000 ans, les tailleurs adoptent une méthode de débitage plus compliquée avec une préparation de leur nucléus en forme de parallélépipède, avec crêtes latérales et plans de frappe opposés. Grâce à cette nouvelle technique, on obtient des lames plus grandes et plus larges. Deux de ces poignards retrouvés sur les rives du Lac de Clairvaux sont datés de -2985 ans.

- Mais la grande période des lames du Pressigny se situe en -2850 et -2400 ans (avec un pic vers -2600 ans). C’est celle des nucléus « livre de beurre » qui exigent une préparation longue et minutieuse et surtout une très grande maîtrise technique pour obtenir des lames de 25 à 38 cm.



Mode opératoire pour débiter des « livres de beurre ».

La production de ces lames est une affaire de spécialiste.
Il faut 2 à 3 heures pour préparer une “livre-de-beurre” (mise en forme et débitage) et la chaîne opératoire compte plusieurs centaines d’enlèvements et plusieurs milliers de gestes. On distingue plusieurs étapes dont les premières se font sur place.

Première étape, l’extraction des dalles de silex.
On creuse des fosses ou des tranchées dans les coteaux ou sur les plateaux pour sortir des grandes dalles de silex qui doivent être dégrossies. L’objectif est de donner une forme très régulière de 40 cm de longueur pour 15 cm de largeur et d’épaisseur. La particularité est que les tailleurs ne vont pas rechercher à réaliser les lames sur la tranche mais au centre de la face large du bloc.

Deuxième étape : le dégrossissage sur place.
Pour réaliser ces lames sur la face, il faut débiter avec un percuteur en silex de grands éclats afin de créer deux crêtes latérales au milieu desquelles seront débitées les lames. Cette étape demande beaucoup d’adresse car en quelques minutes, on peut facilement alléger une ébauche mais on peut aussi la briser.

Troisième étape : l’épannelage (sur place ou dans les villages).
On utilise la percussion indirecte avec un chasse-lame en bois de cerf qui est percuté par un maillet lourd. Peu à peu on dégage des éclats alternants à partir des crêtes latérales pour dégager sur la face de débitage, un relief convexe et bombé en axe transversal. C’est une étape longue (30 à 50 minutes) et pénible vu le poids de l’ébauche mais elle est indispensable pour obtenir sur le futur « plan de frappe » les 3 lignes régulières : la ligne médiane et les 2 crêtes latérales.

Quatrième étape : la préparation au détachement.
Le débitage des lames peut commencer car c’est là, juste sous le cortex, qu’on va trouver le silex le plus homogène et le grain le plus fin pour tirer les plus grandes lames. Mais avant d’être débitée, chaque lame doit être préparée en son point d’origine. Deux petits éclats sont tirés du plan de frappe pour créer une nervure en dièdre sur l’axe de la future lame. Cette nervure est ensuite piquetée avec un gros racloir pour ajuster l’angle que forment le dièdre et la surface de débitage. Elle permet aussi de régler l’épaisseur de la lame et de guider le détachement des lames.

Cinquième étape : l’agencement du débitage et le réépannelage.
La première lame peut enfin être débitée. Cette lame de crête mesure 4 à 5 cm de largeur pour une longueur maximum de 40 cm. Son négatif fait apparaître 2 nervures régulières sur lesquelles vont être tirer les 2 lames suivantes. On continue la même méthode pour obtenir en tout 6 à 7 lames avant que la surface de débitage ne devienne trop plate. Il va falloir donc réépanneler, c'est-à-dire enlever des éclats courts sur les crêtes latérales pour recréer une surface bombé et réaliser 2 à 4 lames supplémentaires sur une plus petite largeur. Sur les très gros nucléus, on pouvait même réaliser un autre réépanelage pour obtenir encore 2 dernières lames. Celles ci ne dépassaient pas les 20 à 25 cm car le nucléus était raccourci.

Par la suite, ces « livres de beurre » pouvaient être abandonnées ou reprises selon une méthode plus classique pour réaliser des lames courtes ou de simples éclats.

La taille sur « lame de beurre » demande donc des connaissances particulières, un grand savoir-faire et une attention constamment soutenue. Ce haut niveau implique un long apprentissage, qui ne peut s’imaginer à distance des tailleurs compétents. On pense donc que chaque maître tailleur était certainement accompagné d’un apprenti devenant peu à peu compagnon en se préparant à le remplacer. On retrouve d’ailleurs sur certaines séries 10% à 15% de nucléus de moindre qualité qui pourraient être ceux des apprentis.

L’extraction des dalles de silex se fait parfois dans des zones peu denses en silex ou de qualité moyenne, alors que, si elle avait été le fait des tailleurs, ceux-ci se seraient concentrés dans les zones les plus favorables. On pense donc que ce sont les agriculteurs locaux qui ont pu procéder eux-mêmes à l’extraction des dalles de silex, afin de les proposer aux tailleurs en échange de poignards utilisables par eux-mêmes ou pour d’autres échanges. Ces agriculteurs auraient pu ainsi combiner l’extraction du silex avec le défrichage de nouveaux secteurs à mettre en labour.

Avec la technique des « livres de beurre », les exportations se font à 90% sur des poignards ou des outils de réutilisation de poignards brisés : grattoirs, racloirs, scies à encoches. On retrouve ses outils variés sur de nombreux sites d’habitats alors que les très grandes lames de poignard se retrouvent plutôt dans les sépultures, ce qui indique leur valorisation comme pièce de prestige ou d’affichage pour leurs détenteurs.



Typologie et usages de ces lames.

Au départ de la zone de production, ce sont surtout des lames brutes et régularisées qui sont exportées comme en témoignent le dépôt de 17 longues lames soigneusement retouchées découvertes en 1890 à Moigny-sur-Ecole (Essonne). Mais on trouve aussi des lames à retouches en écharpe dans la zone du Pressigny, témoignant d’une fabrication locale.

A coté de ces lames, on remarque aussi la production de « scies à encoches » qui sont des couteaux à moissonner emmanchés grâce à leurs coches. Ces scies peuvent être réalisées sur des éclats ou sur des fragments de lames.

Quand aux lames, il est très difficile de les classer. Au départ des ateliers, on peut avoir des lames brutes mais ce sont surtout des lames retouchées qui seront exportées. Une fois arrivée à destination, ces lames seront reprises par des tailleurs locaux qui peuvent lui donner une forme ou un aspect différent.

Parmi les formes, on distingue facilement les poignards « courts » et « longs ».
Les « courts » sont foliacés ou en « barre de chocolat ».
Les poignards « longs » peuvent être pisciformes, losangiques, à languette, ou à soie.

La tracéologie nous permet de dire que ce sont principalement des outils destinés à couper les céréales ou des tiges rigides. Mais dans certains cas, ils sont déposés dans les sépultures dans un état qui peut être parfois proche du « neuf ».

Quant à l’aspect, on va trouver des retouches simples et parfois des poignards patiemment polis ou retouchés par pression « en écharpes ». Ces modifications renforce la valeur non fonctionnelle de l’objet qui auraient alors été diffusés d’une part dans le cadre de dons et contre-dons à motif social, mais aussi par petits paquets en direction de sources de sel, en échange plus commercial de ce dernier. Le dépôt de Moigny (évoqué plus haut), indique bien que certains individus ou familles étaient en position d’en recevoir assez fréquemment.

Les 99% de poignards qui sont destinés à un usage utilitaire (la coupe des céréales) vont donc s’user rapidement et devront être régulièrement retaillées. Ces retouches modifient peu à peu la forme initiale du poignard et rendent encore plus compliqué une éventuelle typologie. Et quant arrive la fracture, ces lames seront transformées en scies, en grattoirs sur lame, en perçoir voire en briquets. A partir de là, on identifie une grande variété d’utilisation dont beaucoup sont liées au travail du bois : scier, racler, écorcer, rainurer, polir, percer. Plus marginalement, on identifie le travail des peaux ou de l’os.



La circulation des lames.

Les modes d’exportation sont variés. Dans un rayon de 100 km, on peut penser à un approvisionnement par les utilisateurs eux-mêmes. Au-delà, on imagine un acheminement en plusieurs étapes par des colporteurs spécialisés qui utilisent des courants de diffusion spécifiques (cabotage ?) d’autant que ces exportations lointaines se font sur des outils très homogènes et qui correspondent vient aux attentes des populations locales « clientes ».

On distingue deux axes majeurs : l’un vers le sud de la Bretagne (attiré par les sources
de sel ?), l’autre vers le nord-est via le Bassin parisien jusqu’au Benelux d’une part, et vers le Jura d’autre part (autre source avérée de sel) et de là encore vers la Suisse et le Dauphiné selon un débit évaluable au plus à une ou quelques lames par village et par an.

On observe aussi que ces artisans ne sont pas sédentaires et vont jusqu’à créer des « ateliers satellites » en Dordogne, en Charente mais aussi à Vassieux-en-Vercors ou sur les gites de silex tertiaire en Champagne.

Sur le site de Vassieux par exemple, on retrouve des « livres de beurre » sur des nucleus plus courts (16 à 25 cm) qui permettaient la production de 3 à 5 lames. On pense que ce sont des dizaines de milliers de lames qui furent produites sur ce site. Mais on s’interroge sur le fait que les blocs de silex locaux auraient été plus faciles à débiter sur des nucleus à 3 crêtes comme à Spiennes. On voit donc bien que la méthode pressignienne a été introduite de façon toute faite, non par un simple bouche à oreilles mais via le déplacement de tailleurs venus du Pressigny.

Reste à savoir combien de lames ont été produites en 400 ans. Jacques Pélegrin propose un mode de calcul original pour envisager un chiffre.
- Sur une « livre de beurre », seule la partie extérieure du nucléus présente un grain assez fin pour être débité en longue lame.
- Dés lors, on débite en moyenne 10 à 12 lames sur chaque nucléus,
- Un tailleur expérimenté peut traiter 2 nucléus par jour (archéologie expérimentale).
- La taille était une activité saisonnière et estivale et ne durait pas plus de 6 semaines, sachant que le tailleur ne pouvait travailler sous la pluie, ni même à l’abri par temps humide
- Il faut 3 tailleurs (et leurs apprentis) chaque année pour ne pas perdre le savoir faire technique nécessaire.
- En conclusion, chaque tailleur devait débiter autour de 65 nucléus par saison.

Pour confirmer ce chiffre, l’analyse des 134 lames du dépôt de « La Creusette » montre qu’il représente 15% à 20% d’un ensemble initial de 500 à 800 lames représentant 50 à 80 nucléus. On retrouve les mêmes volumes dans le dépôt de « la Guerche » qui est composé de 100 à 150 nucléus mais avec où se distinguent bien 2 tailleurs différents.

Avec 3 tailleurs, on obtient donc environ 2 000 lames par an. En tenant compte que la la phase classique de la production (celle des « livres de beurre ») a duré environ 400 ans, on arrive à 800 000 lames produites.

Mais en imaginant une douzaine de tailleurs spécialisés qui auraient produit 10 000 lames par an, on serait à 400 000 nucléus et 4 millions de lames ! C’est d’autant plus surprenant que l’inventaire actuel ne recense que 6 000 outils. Il reste donc de la marge !!!

A coté des artisans tailleurs de lames brutes, il y avait une véritable économie du silex avec des mineurs locaux spécialisés dans l’extraction des blocs de silex, des tailleurs pour retoucher certaines lames et des colporteurs pour exporter ces lames…



Quelle valeur symbolique ?

Il est tout aussi évident qu’avec des centaines de milliers de lames, la valeur symbolique de ces lames devaient dépendre d’autre chose que leur couleur miel. Jacques Pélegrin (encore lui !) montre que si on débite deux lames de 15 cm. au lieu d’une lame de 30 cm., on obtient 6 fois plus de tranchants en maximisant le débitage du nucléus,. Ce n’est donc pas la rentabilité du silex qui est recherché mais la valorisation des grandes lames.

C’est d’autant plus vrai que la livre de beurre fournit des lames avec un minimum de 22 cm. de longueur alors que les lames du quotidien faites en silex local ne faut au mieux qu’une quinzaine de centimètre. Il y a donc bien une attente « sociale » pour ces grandes lames et une répartition qui peut se faire par une élite qui va se garder les plus longues et échanger des lames plus modestes avec des vassaux ou des villages voisins.

Mais alors pourquoi certaines grandes lames montrent elles des traces d’usure ?
Il faut prendre en compte la dynamique de l’objet. La grande lame peut être conservée pour sa valeur sociale dans un premier temps mais année après année, les lames deviennent plus fréquentes dans certaines régions et peuvent être remplacées. La valeur d’échange passe alors du symbolique à l’utilitaire. On est donc sur un phénomène différent des haches alpines du 5° millénaire qui ne seront produites qu’à quelques centaines d’exemplaires par an.

La lame de silex comme valeur d’échange économique est alors évoquée pour s’échanger par exemple, contre les pains de sel des marais de Vendée ou des sources salées du Jura. Cette valeur ne sera jamais concurrencée par les copies des productions locales du Vercors ou de Champagne et aura sans doute assurée un certain prestige aux élites locales.


A lire : Revue archéologique du Centre de la France, N° 38 : L'Europe, déjà, à la fin des temps préhistoriques : Des grandes lames en silex dans toute l'Europe

Bonne lecture !
Manu

 
Auteur : Manu02 le 12/12/2014 10:43:06
109893R17 - Inventaire
[889]
Précision utile :

A noter qu'une synthèse de l'inventaire actuel est en cours de préparation (depuis 1985 !). Pour ceux qui souhaitent déclarer leurs prospections vous pouvez contacter les 'Amis du Musée du Grand Pressigny' 'AMGP) via leur site web. Vous participerez ainsi à la cartographie des exportations de ces outils emblématiques du néolithique Final.

Manu

 
Auteur : Manuel11 le 17/12/2014 20:16:32
109893R18 - .

J'ai lu le premier article, pas encore le second.
Super intéressant.
M


 
Auteur : tinca le 17/12/2014 20:44:22
109893R19 - ---
+hello +tous!
quels savoirs vous avez!!!!
respect pour tout le travail effectué...

tinc@



 

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